Théorème de Tykhonov

Page d’aide sur l’homonymie

Pour l’article homonyme, voir Théorème du point fixe de Tychonoff.

L'image montre trois segments compacts. Le théorème dit que le produit, i.e. le parallélépipède plein est toujours compact. L'image montre un cas fini ; le théorème reste vrai si on fait un produit cartésien d'un ensemble infini de compacts.

Le théorème de Tychonov (ou Tychonoff) est un théorème de topologie qui affirme qu'un produit d'espaces topologiques compacts est compact au sens de la topologie produit. Il a été publié en 1930 par le mathématicien russe Andreï Nikolaïevitch Tikhonov. Il a plusieurs applications en topologie algébrique et différentielle, particulièrement en analyse fonctionnelle, pour la preuve du théorème de Banach-Alaoglu-Bourbaki et le compactifié de Stone-Čech.

Si ce théorème est relativement élémentaire dans le cas d'un produit fini[1], sa validité dans le cas d'un produit infini est plus étonnante, et se démontre par une méthode non constructive faisant appel à l'axiome du choix. Dans le cas d'un produit dénombrable d'espaces métriques compacts, une forme faible de cet axiome suffit.

Démonstration dans le cas d'un produit dénombrable de métriques

Dans le cas du produit dénombrable de métriques, l'idée essentielle est de faire de ce produit un espace lui aussi métrique en le munissant d'une distance appropriée, ce qui permet ensuite d'utiliser le théorème de Bolzano-Weierstrass et le fait que la compacité séquentielle est stable par produits dénombrables.

Démonstration dans le cas général

Un espace est compact si seulement s'il est séparé et s'il est quasi-compact (c'est-à-dire s'il vérifie la propriété de Borel-Lebesgue). Comme tout produit de séparés est séparé pour la topologie produit, il reste à prouver que tout produit de quasi-compacts est quasi-compact et ce, en utilisant l'axiome du choix ou, ce qui est équivalent, le lemme de Zorn.

Par le théorème d'Alexander sur les prébases

Soit une famille d'espaces quasi-compacts. Pour prouver que leur produit X est quasi-compact, il suffit, d'après un théorème d'Alexander, de montrer que pour toute partie C de la prébase naturelle du produit, si C ne contient aucun recouvrement fini de X alors C ne recouvre pas X. Pour ce faire, on utilise pour commencer le lemme de Zorn (déjà employé pour démontrer le théorème d'Alexander) et pour finir, l'axiome du choix[2],[3],[4].

Par la théorie des filtres

On peut donner une démonstration élégante[5],[6],[7],[4] de ce théorème en utilisant la théorie des filtres.

Par l'utilisation de suites généralisées

Une démonstration du théorème de Tykhonov généralise la démonstration usuelle utilisée dans le cas d'un produit fini ou dénombrable. Elle utilise la caractérisation de la compacité par les suites généralisées. À partir d'une suite généralisée de l'espace produit, elle consiste, par une récurrence transfinie sur les composantes, à extraire une sous-suite généralisée convergente, ce qui prouve la compacité[8].

Par la propriété de Borel-Lebesgue pour les fermés

On peut utiliser le fait qu'un espace X est quasi-compact si et seulement si, pour toute famille F {\displaystyle {\mathcal {F}}} de fermés de X dont les intersections finies sont non vides, F F F {\displaystyle \bigcap _{F\in {\mathcal {F}}}F} est non vide.

Démonstration[2]

Soient ( X α ) α A {\displaystyle (X_{\alpha })_{\alpha \in A}} une famille de quasi-compacts, X leur produit, et F {\displaystyle {\mathcal {F}}} une famille de fermés de X dont toute intersection finie d'éléments est non vide. On notera p α {\displaystyle p_{\alpha }} la projection de X sur X α {\displaystyle X_{\alpha }} .

Considérons l'ensemble des familles de parties de X contenant (au sens de l'inclusion) F {\displaystyle {\mathcal {F}}} et dont les intersections finies d'éléments sont non vides. C'est un ensemble ordonné par l'inclusion et inductif. Il vérifie donc les hypothèses du lemme de Zorn et admet par conséquent un élément maximal F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} .

Soit α A {\displaystyle \alpha \in A} fixé. Comme l'intersection finie d'éléments de F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} est non vide, c'est aussi le cas de l'intersection finie de projections sur X α {\displaystyle X_{\alpha }} d'éléments de F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} , donc de l'adhérence de tels éléments ; ainsi la famille ( p α ( F ) ¯ ) F F {\displaystyle \left({\overline {p_{\alpha }(F)}}\right)_{F\in {\mathcal {F}}^{*}}} vérifie les hypothèses de la propriété de Borel-Lebesgue dans X α {\displaystyle X_{\alpha }} qui est quasi-compact, donc l'ensemble F F p α ( F ) ¯ {\displaystyle \bigcap _{F\in {\mathcal {F}}^{*}}{\overline {p_{\alpha }(F)}}} est non vide.

On va alors considérer un élément x = ( x α ) α A {\displaystyle x=(x_{\alpha })_{\alpha \in A}} du produit de tous ces ensembles non vides (on utilise donc à nouveau l'axiome du choix) et montrer qu'il est dans l'intersection des éléments de F {\displaystyle {\mathcal {F}}} , qui sera alors non vide, ce qui achèvera la preuve.

On remarque tout d'abord que :

(L1) F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} est stable par intersection finie.

En effet, soit F {\displaystyle F} une intersection finie d'éléments de F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} . Alors l'ensemble F { F } {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}\bigcup \{F\}} contient F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} et ses intersections finies font partie de celles de F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} donc sont non vides, si bien que (par maximalité de F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} ) F { F } = F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}\bigcup \{F\}={\mathcal {F}}^{*}} , c.-à-d. F F {\displaystyle F\in {\mathcal {F}}^{*}} .

Par un argument similaire, on en déduit que

(L2) si un sous-ensemble de X intersecte tous les éléments de F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} , alors il appartient à F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} .

Soit V ouvert de α A X α {\displaystyle \prod _{\alpha \in A}X_{\alpha }} contenant x : il existe U α 1 , , U α n {\displaystyle U_{\alpha _{1}},\dots ,U_{\alpha _{n}}} ouverts respectifs de X α 1 , , X α n {\displaystyle X_{\alpha _{1}},\dots ,X_{\alpha _{n}}} tels que l'ouvert élémentaire U := U α 1 × × U α n × α α 1.. n X α {\displaystyle U:=U_{\alpha _{1}}\times \dots \times U_{\alpha _{n}}\times \prod _{\alpha \neq \alpha _{1..n}}X_{\alpha }} contienne x et soit inclus dans V.

Alors soit 1 i n {\displaystyle 1\leq i\leq n} , on a x α i U α i {\displaystyle x_{\alpha _{i}}\in U_{\alpha _{i}}} , ainsi F F , p α i ( F ) ¯ U α i {\displaystyle \forall F\in {\mathcal {F}}^{*},\,{\overline {p_{\alpha _{i}}(F)}}\bigcap U_{\alpha _{i}}\neq \varnothing } , or U α i {\displaystyle U_{\alpha _{i}}} ouvert donc p α i ( F ) U α i {\displaystyle p_{\alpha _{i}}(F)\bigcap U_{\alpha _{i}}\neq \varnothing } , donc F p α i 1 ( U α i ) {\displaystyle F\bigcap p_{\alpha _{i}}^{-1}(U_{\alpha _{i}})\neq \varnothing } . Alors par (L2), p α i 1 ( U α i ) F {\displaystyle p_{\alpha _{i}}^{-1}(U_{\alpha _{i}})\in {\mathcal {F}}^{*}} .

Donc par (L1), U = i = 1 n p α i 1 ( U α i ) F {\displaystyle U=\bigcap _{i=1}^{n}p_{\alpha _{i}}^{-1}(U_{\alpha _{i}})\in {\mathcal {F}}^{*}} , donc U intersecte tous les éléments de F {\displaystyle {\mathcal {F}}^{*}} . A fortiori, V intersecte tous les éléments de F {\displaystyle {\mathcal {F}}} .

Ainsi, x est dans l'adhérence de tous les éléments de F {\displaystyle {\mathcal {F}}} , qui sont fermés, donc x appartient à tous les éléments de F {\displaystyle {\mathcal {F}}} , dont l'intersection est donc non vide, ce qui achève la preuve.

Équivalence avec l'axiome du choix

Nous avons précédemment évoqué l'équivalence du théorème de Tychonov avec l'axiome du choix. Il est important de noter que cette équivalence n'a lieu que si l'on considère la définition anglophone de la compacité, qui correspond à la quasi-compacité francophone (l'espace vérifie la propriété de Borel-Lebesgue mais n'est pas séparé a priori). Dans le cas de la compacité francophone (on impose de plus que l'espace soit séparé), le théorème de Tychonov est équivalent à une version strictement plus faible de l'axiome du choix : le théorème de l'idéal premier dans une algèbre de Boole.

Pour prouver cette équivalence[9] (dans le cas anglophone), nous allons utiliser une légère variante de la topologie cofinie qui possède une propriété très intéressante : tout espace est quasi-compact pour la topologie cofinie.

Soit donc ( A i ) i I {\displaystyle (A_{i})_{i\in I}} une famille d'ensembles non vides, nous voulons montrer i I A i {\displaystyle \prod _{i\in I}A_{i}\neq \varnothing } . On se donne un élément, noté {\displaystyle \infty } , n'appartenant pas à la réunion des Ai, on pose X i = A i { } {\displaystyle X_{i}=A_{i}\bigcup \{\infty \}} , et l'on munit X i {\displaystyle X_{i}} de la topologie formée de l'ensemble vide, de tous les ensembles de complémentaire fini, et du singleton { } {\displaystyle \{\infty \}} (on vérifie qu'alors, on a bien une topologie et X i {\displaystyle X_{i}} est quasi-compact). Par Tychonov (anglophone), le produit X {\displaystyle X} des X i {\displaystyle X_{i}} est quasi-compact.

On remarque que, en notant p i : X X i {\displaystyle p_{i}:X\to X_{i}} la i-ème projection, on a : i I A i = i I p i 1 ( A i ) {\displaystyle \prod _{i\in I}A_{i}=\bigcap _{i\in I}p_{i}^{-1}(A_{i})} . Or X {\displaystyle X} est quasi-compact : pour montrer que i I p i 1 ( A i ) {\displaystyle \bigcap _{i\in I}p_{i}^{-1}(A_{i})\neq \varnothing } , on va se servir de la contraposée de la propriété de Borel-Lebesgue pour les fermés : si chaque p i 1 ( A i ) {\displaystyle p_{i}^{-1}(A_{i})} est fermé et si toute intersection finie de p i 1 ( A i ) {\displaystyle p_{i}^{-1}(A_{i})} est non vide, alors l'intersection des p i 1 ( A i ) {\displaystyle p_{i}^{-1}(A_{i})} est non vide, ce qui achèvera la preuve.

Or, pour tout i I {\displaystyle i\in I} , comme A i {\displaystyle A_{i}} est fermé dans X i {\displaystyle X_{i}} et p i {\displaystyle p_{i}} est continue, p i 1 ( A i ) {\displaystyle p_{i}^{-1}(A_{i})} est fermé. D'autre part, soit J {\displaystyle J} une partie finie de I {\displaystyle I} , alors i J p i 1 ( A i ) {\displaystyle \bigcap _{i\in J}p_{i}^{-1}(A_{i})\neq \varnothing }  : en effet, en choisissant, pour chaque i J {\displaystyle i\in J} , un élément a i {\displaystyle a_{i}} de A i {\displaystyle A_{i}} , on peut définir un élément x = ( x i ) i I {\displaystyle x=\left(x_{i}\right)_{i\in I}} de cette intersection par x i = a i {\displaystyle x_{i}=a_{i}} si i J {\displaystyle i\in J} et x i = {\displaystyle x_{i}=\infty } si i I J {\displaystyle i\in I\setminus J}  : on a donc bien la propriété annoncée.

Notes et références

  1. Voir l'article Lemme du tube, ou Hervé Queffélec, Topologie : cours et exercices corrigés, Dunod, , 6e éd. (lire en ligne), p. 88.
  2. a et b (en) John L. Kelley, General Topology, Van Nostrand, (lire en ligne), p. 143.
  3. Suivre le lien (voir infra) vers Wikiversité.
  4. a et b Olivier Brinon, « Le théorème de Tychonoff », . (Dans ce texte, le nom d'Alexander est remplacé par erreur par le nom Alexandrov, et le terme de prébase d'ouverts est remplacé par le terme base d'ouverts.)
  5. N. Bourbaki, Éléments de mathématique, Topologie générale, chap. I.
  6. Georges Skandalis, Topologie et analyse 3e année, Dunod, coll. Sciences Sup, 2001.
  7. Claude Wagschal, Topologie et analyse fonctionnelle, Édition Hermann, Collection Méthodes, 1995.
  8. Étienne Matheron, « Three Proofs of Tychonoff's Theorem », American Mathematical Monthly, vol. 127, no 5,‎ , p. 437-443 (DOI 10.1080/00029890.2020.1718951)
  9. (en) J. L. Kelley, « The Tychonoff product theorem implies the axiom of choice », Fund. Math., vol. 37, no 1,‎ , p. 75-76 (lire en ligne).

Voir aussi

Sur les autres projets Wikimedia :

  • Produit d'espaces compacts, sur Wikiversity
  • Théorème de Tychonov dans les ensembles flous
  • Théorème de De Bruijn-Erdős (théorie des graphes)
  • icône décorative Portail des mathématiques